Les Anishinabegs et la Deuxième Guerre mondiale
Allemagne se réarme
Comme nous l’avons mentionné plus tôt dans ce chapitre, les temps étaient difficiles partout dans le monde durant la Grande Dépression. L’économie de tous les pays était durement touchée durant cette crise, mais aucun ne l’était davantage que l’Allemagne. La Grande Guerre avait presque détruit l’économie allemande. La Grande Dépression l’a achevée. L’Allemagne a perdu la Grande Guerre en 1918. Les forces alliées victorieuses (américaines, britanniques et françaises ; le Canada eu une petite part après que tout fût terminé) ont rédigé le traité de Versailles en 1919. Les Britanniques et les Français en ont voulu aux Allemands et pour détruire leur pouvoir naissant, ils leur ont fait payer, par le biais du Traité de Versailles, des millions de dollars en dédommagement à la France et la Belgique. L’Allemagne en fut humiliée. Le traité de Versailles dépouillait l’Allemagne de son industrie, dont les profits étaient distribués à la France et la Belgique en guise de dédommagement. Il en fut de même pour les produits agricoles qui furent également expédiés en France et en Belgique. En 1923, l’Allemagne était affamée. La population avait à peine de quoi se nourrir. Les Allemands travaillaient d’arrache-pied pour nourrir l’Angleterre et la France. Lorsque la Grande Dépression éclata en 1929, l’économie allemande surmenée s’est finalement effondrée. L’argent allemand avait perdu sa valeur et après 1929 les Allemands ont dû adopter un système de troc. Ils ont utilisé le charbon comme monnaie d’échange afin d’acheter de la nourriture. Les Alliés ont presque renvoyé l’Allemagne à l’époque féodale.
Tous ces éléments ont déclenché une révolte en Allemagne. Ce soulèvement nationaliste donna naissance au nazisme. L’homme à la tête du soulèvement nazi était Adolf Hitler. Il avait promis de remettre les Allemands au travail afin que les travailleurs puissent nourrir leurs familles. Un discours cher aux familles allemandes qui ont placé, en 1936, Adolf Hitler à la tête du pays. Il construisit une autoroute nationale et remis sur pied l’industrie, ce qui constituait une violation du traité de Versailles.
Les Alliés ne pouvaient rien y faire. Adolf Hitler a remis les familles au travail et la population l’a soutenu. Une fois ce soutien obtenu, il a édifié une armée. Les sabres ont recommencé à vibrer en Europe et le 4 septembre 1939, l’Allemagne a envahi la Pologne. L’Angleterre et la France ont riposté en déclarant la guerre à l’Allemagne. Et les Américains ont refusé de s’impliquer. La déclaration de guerre de l’Angleterre a entraîné celle du Canada. Vingt et un ans après la fin de la Grande Guerre censée être la « guerre pour mettre fin à toutes les guerres » l’histoire recommençait.
L’Armée canadienne payait 33 dollars par mois pour s’inscrire et aller se battre durant la Grande Guerre. Le salaire quotidien était un peu mieux cette fois-ci. Les hommes recevaient un dollar et quarante cents par jour, ou quarante-trois dollars par mois. Après avoir lutté pour survivre à la Grande Dépression, quarante-trois dollars par mois était une fortune pour les hommes qui rejoignaient l’Armée canadienne lors de la Seconde Guerre mondiale. Ils pourraient se nourrir et envoyer de l’argent à la maison pour leurs familles. Une autre génération de jeunes Algonquins s’inscrivit donc pour combattre une armée allemande mieux équipée et plus efficace. Ils ont rejoint l’armée par nécessité, le patriotisme n’étant pas leur première préoccupation, mais en Hollande, ils comprirent pourquoi ils devaient combattre.
QUELQUES HISTOIRES
Harry Brennan détient le record sur notre réserve, de celui qui s’est enrôlé le plus souvent : trois fois. Il le fit pour la troisième fois au sein de l’armée canadienne le 19 juin 1941, à Toronto. Il avait trente-neuf ans. Ce qui lui permit d’être affecté au Corps de service de l’Armée royale canadienne.

Kichi Jim Brascoupe a tellement apprécié le temps passé en Angleterre durant la première guerre qu’il signa à nouveau pour combattre à l’étranger avec le Corps forestier canadien. Il plaisantait disant qu’il ramènerait une seconde épouse écossaise.

Angus “Ignace” Baptiste était le fils de Joseph John Baptiste. Comme son père, il a servi dans le Corps forestier canadien à l’étranger. Après la guerre, il travaillait comme guide à O’Connell Lodge dans le parc de La Vérendrye lorsqu’il fut approché pour un rôle d’un guide algonquin dans un film documentaire.

James Albert Chabot a également servi à l’étranger dans le Corps forestier canadien.

Simon Dumont a combattu en Italie où il fut blessé. Il a également combattu en Hollande en 1945 lors de la Libération. Il a rencontré une jeune hollandaise du nom d’Elizabeth qu’il épousa et ramena à Ottawa où ils vécurent après la guerre.

Patrick Carle était le fils de John Carle, un vétéran de la Grande Guerre. Patrick a joint l’armée après sa formation, il est revenu en permission à la maison où il est soudainement tombé malade. Il est décédé quelques jours plus tard.

Les deux sœurs Bertha et Bernice Cooko sont décédées jeunes. Bertha est décédée en 1952 d’une maladie chronique. Bernice s’est installée à Ottawa après la guerre. Elle s’est noyée dans la rivière des Outaouais en 1953.

Les frères Simon et Jim Brascoupe (pas Kichi-Jim ou le James Brascoupe qui fut, par accident, enrolé en 1918) s’étaient engagés dans la marine américaine. Leur frère Xavier Brascoupe s’est, pour sa part, joint à l’armée canadienne.

Les frères Jim et Simon Cayer n’ont jamais parlé de leurs expériences sur le champ de bataille. Ils sont maintenant tous les deux décédés.

Alonzo Cayer est revenu à la maison après avoir terminé sa formation de base avant de partir à l’étranger, mais sa mère s’y est opposé puisqu’il était le seul salarié à la maison. Elle en avait le droit. L’agent des Indiens aurait dû écrire une lettre au ministère de la Guerre à Ottawa en son nom. Mais rien ne fut fait. Alors qu’il assistait à une réunion du conseil de bande, l’activiste défendant les droits des Premières nations, Jules Sioui lui ordonna d’enlever son uniforme puisque “ce n’était pas notre guerre.” C’est pourquoi le nom d’Alonzo ne figure pas sur le commémoratif des vétérans algonquins à Kitigan Zibi.

Joseph Ottawa, pour sa part, a servi dans les forces aériennes américaines. Il a occupé un poste en Afrique du Nord en 1943 puis dans le Nord-Ouest de l’Europe en 1944.

Michael Scott était un solide bûcheron. Il a été affecté au Corps forestier canadien en Écosse. Seul un détachement de troupes écossaises les dépassait en nombre. Michael a terminé la guerre en Allemagne en 1945.

Les frères Kenneth et Raymond Budge : Kenneth a été affecté à l’artillerie tandis que Raymond était un canonnier dans un char d’assaut Sherman. L’unité de Raymond faisait partie de l’une des premières vagues de chars d’assaut qui ont débarqué, le matin du jour J, sous un feu nourrit, sur la plage Juno. Durant les combats qui ont suivi, Raymond et ses compagnons ont dû se battre contre des chars d’assaut allemands plus puissants. A deux reprises, Raymond est sorti du char d’assaut en flammes. Les membres de l’équipage ne disposaient que de sept secondes pour sortir avant que les réservoirs d’essence du Sherman n’explosent. Kenneth et Raymond ont combattu à travers la France, la Belgique et la Hollande. Raymond a terminé son service en Allemagne.

Matthew Cooko a joint l’armée américaine et a servi dans le Nord-Ouest de l’Europe et l’Allemagne. Après la guerre, Matthew parti travailler à Syracuse, New York, où il subit un grave accident qui altéra sa capacité à parler. Matthew était en très mauvaise état. En 1981, il fut hospitalisé dans un hôpital réservé aux vétérans, il avait perdu l’usage de la parole. Personne ne savait qui il était. Il ne pouvait désormais que dessiner. Une infirmière américaine fini par comprendre son histoire. On contacta son frère John Cooko, en 1981 et la famille ramena Matthew à Kitigan Zibi où il vécut pour le reste de ses jours, entouré de sa famille et ses amis.

John Cooko avait 28 ans lorsqu’il quitta Maniwaki pour l’Europe, en 1944. Il est arrivé à Amsterdam en avril 1945. La guerre était alors presque terminée.

Angus Dancey a servi à l’étranger, avec son ami Michael Scott dans le Corps forestier canadien. Son père, Peter Dancey, a également servi avec le Corps forestier canadien durant la Grande Guerre. Angus s’impliqua activement auprès des anciens combattants après la guerre et notamment dans les levées de fonds afin d’ériger un mémorial aux vétérans algonquins de Kitigan Zibi.

Michael Chabot était avec le corps expéditionnaire composé de soldats américains et canadiens qui a envahi les îles Aléoutiennes japonaises au large des côtes de l’Alaska en 1942-43. Sur l’île de Kiska, ces forces conjointes ont combattu une unité japonaise qui avait été laissée sur place. Michael faisait partie d’une unité de tireurs d’élites chargée d’éliminer les tireurs d’élite japonais qui occupaient l’île. Les Américains avaient leur propre façon de traiter avec les tireurs d’élite japonais : des lance-flammes.

Soldat de Première classe Joseph Wilfred McDougall, 965875, Corps des Marines américaines sur le Pacifique et plus tard, les Forces d’occupation américaines au Japon, 1946 à 1947.
Tout le monde le connaissait sous le nom de Frank. Il a combattu à Iwo Jima. Il était tireur qualifié et canonier antichar. L’île d’Iwo Jima se trouvait à mille kilomètres du Japon et appartenait à celui-ci. Les commandants du Corps des Marines ont pensé que la bataille d’Iwo Jima se terminerait en trois jours mais elle dura trente-six jours.
Les combats débutèrent le matin du 19 février 1945. La garnison japonaise était dissimulée sous terre. Les soldats avaient construit près de trente kilomètres de tunnels et des chambres souterraines sous une île de huit kilomètres de long par six kilomètres de large. Iwo Jima s’avéra être un piège mortel pour les quatre-vingt mille Marines assignés à la prendre.
Le 23 février 1945, une patrouille de quarante Marines se sont dirigés vers le sommet du mont Suribachi, une montagne volcanique qui dominait l’extrémité ouest de l’île. Dans l’une des plus célèbres photographies jamais filmées, six marines ont déployé le drapeau des États-Unis au sommet du mont Suribachi. Depuis la plage, Frank McDougall fut témoin de la célèbre levée du drapeau. L’unité anti-char de Frank était entrée en action le 24 février 1945. Les marines firent face aux mitrailleurs japonais tirant des bunkers souterrains construits dans la roche volcanique. La seule façon d’en venir à bout était de les faire sauter à bout portant avec des chars d’assauts et des canons antichars. Il n’y avait pas de ligne de front à Iwo. Les Japonais étaient dissimulés dans des souterrains d’où ils pouvaient sortir par n’importe quel trou pour tirer les marines dans le dos. La nuit, ceux-ci pouvaient entendre les Japonais murmurer en se déplaçant dans les tunnels souterrains. La nuit fut le moment le plus effrayant pour les marines à Iwo puisque c’était le moment où les Japonais sortaient pour aller chercher de la nourriture, de l’eau et des munitions. Les Marines ont dû dormir en se relayant.
Frank avait vingt ans, en 1941, lorsqu’il quitta la maison pour aller travailler comme un bûcheron à Nobleboro, New York. Sa grand-mère, Elizabeth Commanda, lui avait donné chapelet en perles de bois. Le Rosaire, lui dit-elle, le protégerait pendant ses voyages et c’est ce qu’il fit. Frank fut blessé le 15 mars 1945. Après dix-neuf jours de combat constants, alors que les hommes de son unité prenaient un moment pour se détendre, un tireur d’élite japonais a attaqué. Frank entendit probablement le bruit quand la balle déchira son casque en acier. La balle a ricoché sur son casque et lui a entaillé le cuir chevelu. Il fut évacué vers la plage et le lendemain, il était en sécurité à bord d’un navire-hôpital. Le Japon s’est rendu le 9 août 1945. Frank s’est joint aux forces d’occupation américaines au Japon et a servi comme policier militaire de septembre 1946 à décembre 1947. Il est décédé en 1998. Le chapelet qui avait suivi Frank durant toute cette odyssée, depuis Rivière Désert en passant par la base du Corps des Marines à Parris Island, en Caroline du Nord, puis sur le navire des troupes à San Francisco, en Californie pour terminer son périple à travers l’océan Pacifique jusqu’ au Japon, fut enterré avec lui. La médaille « Purple Heart » reçue pour blessures subies à Iwo Jima, a été intégrée à sa pierre tombale au cimetière algonquin sur la route Bitobi.
LES LIBERATEURS
Les armées allemandes victorieuses ont conquis la France et ont fait reculer l’armée britannique dans la Manche, en mai de 1940. Les Etats-Unis se sont joints à la guerre après l’attaque de Pearl Harbor, en 1941. Puis, après que le Japon ait déclaré la guerre aux Etats-Unis, ce fut le tour de l’Allemagne. Avec l’Amérique désormais en guerre du côté des alliés, ce n’était qu’une question de temps avant que l’Europe ne soit libérée du contrôle de l’Allemagne. Les forces américaines, britanniques et canadiennes ont envahi l’Italie au cours de l’été 1943, mais ce n’était que le prélude de la véritable invasion. Il a fallu quatre ans aux alliés, réunis en Angleterre, pour former les hommes et développer l’équipement nécessaire afin de vaincre les armées allemandes en France. Le matin du 6 juin 1944, les forces alliées débarquèrent sur les plages de Normandie, ainsi débutait la libération de l’Europe. Pendant les onze mois suivants, les Alliés se frayèrent un chenin depuis la Normandie jusqu’en Allemagne et mettaient fin à la guerre en 1945. La liberté a son prix. Voici les soldats ont combattu en Europe.

Caporal Sam Cote, C121475. Régiment de la Chaudière, Normandie et Nord-Ouest de l’Europe, 1944-1945.
Sam a rarement parlé de ses expériences de combat en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’est enrôlé le 9 juin 1943 à Kingston, en Ontario. Un an plus tard, il débarque en Normandie et a joint le Régiment de la Chaudière, ou Les Chaudières, comme on les appelait communément dans l’armée canadienne. Les Canadiens se sont retrouvés, en Normandie, face de la 12ème division SS Hitlerjugend, la plus fanatique et la plus agressive de toutes les divisions SS en Normandie. La 12ème division SS Hitlerjugend était composée d’adolescents ; ils avaient tous dix-huit ans et avaient été endoctrinés dans les camps de la jeunesse hitlérienne en Allemagne pour haïr et tuer les Alliés sans pitié. Sam guerroyait avec les Chaudières dans les batailles meurtrières de Carpiquet et de Caen en juillet 1944. A Carpiquet, les Chaudières affrontèrent la 12ème division SS dans de féroces combats de rue.
Selon un récit laissé par le regretté Paul-Armand Cere de Maniwaki, également membre des Chaudières, Sam patrouillait souvent de nuit dans les lignes SS. Les combats de nuit étaient le point fort de Sam, mais il n’en a jamais parlé après la guerre. Il a combattu partout en Normandie, en France et en Belgique. Il fut blessé en Hollande en avril 1945. La gravité de sa blessure a nécessité son transfert dans un hôpital militaire en Angleterre. Dans le lit voisin il y avait un soldat canadien-français blessé. Sam parlait français et un jour alors qu’ils discutaient, le jeune soldat canadien-français montra fièrement à Sam une photo de sa femme. Celui-ci fut surpris de reconnaître la jeune femme de la photo : sa cousine Marie Brascoupe ! Le soldat franco-canadien s’est avéré être Fernand Carrière de Ferme-Neuve, au Québec, que Sam n’avait jamais rencontré auparavant. Pour ce dernier, cette surprenante rencontre dans un hôpital anglais avec ce cousin par alliance qu’il ne connaissait pas, fut le point culminant de son expérience européenne, la seule histoire de guerre dont il parla.
Note de l’auteur : Nous remercions tout particulièrement Mme Eleanor Cote, veuve de Sam ainsi que son fils M. Russell Cote pour avoir partagé leurs souvenirs dans cette biographie. Un entretien avec la veuve d’un vétéran est toujours difficile. Les longs moments de silence, lorsque qu’une veuve doit faire une pause et rassembler ses idées, sont inconfortables. Avec le retour des hommes, les épouses ont dû vivre avec la guerre à chaque soir. Une histoire est toujours pleine d’émotion et les longs silences sont les plus éprouvants. Parfois, les non-dit sont les plus puissants. L’auteur est toujours reconnaissant à la famille d’avoir partagé ces moments avec lui.

Soldat Daniel Whiteduck, C7037, Corps forestier canadien, Attaché au Régiment “22”, les Van Doos, Europe du Nord-Ouest et l’Allemagne, 1944-45.
” Une fois j’’ai fait le cauchemar que j’étais mort et qu’ils m’avaient mis dans un de ces trous … vous étiez reconnaissant de pouvoir revenir. J’étais si heureux, j’ai épousé ma femme en 1946.”
Dan Whiteduck parle de son expérience militaire lors d’une entrevue en 1996.[1] Des soldats canadiens décédés furent enveloppés dans leurs couvertures ou leurs ponchos contre la pluie, et enterrés dans des trous d’obus et des cratères de bombe, parfois jusqu’à quinze hommes par trou. L’aumônier de l’armée a indiqué, sur des cartes, l’emplacement des tombes. Après la guerre, ces tombes furent ouvertes et les corps exhumés pour être enterrer à nouveau dans les cimetières militaires canadiens installés tel un sentier depuis la France, en passant par la Belgique puis la Hollande. De nombreux soldats canadiens, se sont probablement demandés, tout comme Dan Whiteduck, quand viendrait leur heure d’être enterrés dans un trou d’obus. En avril 1945, l’armée canadienne fut chargée de libérer la Hollande tandis que les armées américaine et britannique se battaient pour un but : l’Allemagne. Tous les Canadiens et les Canadiennes qui ont combattu en Hollande en furent marqué pour le reste de leur vie. L’armée allemande avait confisqué toutes les ressources alimentaires en Hollande. Le bétail et les céréales furent envoyés en Allemagne pour nourrir la population. Les Hollandais ont appelé l’hiver 1944-45 “l’hiver du navet” parce que c’était tout ce qu’ils avaient, et ce n’était pas suffisant. Un million de civils sont morts de faim cet hiver-là et lorsque les Canadiens sont allés combattre en Hollande pour y déloger les Allemands, ils ont été choqués de voir les jeunes hollandais manger du foin, des feuilles et même des bulbes de tulipes. Les soldats canadiens ont reçu l’ordre de leurs supérieurs de ne pas donner de nourriture aux enfants affamés. Il semble que lorsque les êtres humains affamés sont soudainement confrontés à la nourriture, ils mangent sans arrêt jusqu’à ce que leur estomac éclate ou que leurs cœurs trop sollicités par le processus de digestion s’arrête. Les personnes affamées vont littéralement manger à en mourir. Des infirmières de l’Armée canadienne furent envoyées de l’Angleterre et de la Belgique pour aider les enfants affamés à manger à nouveau de la nourriture solide. Aussitôt que les Canadiens libéraient une ville, les bombardiers alliés larguaient des tonnes de nourriture et de médicaments afin que les infirmières canadiennes organisent les programmes alimentaires pour les jeunes hollandais. Les soldats canadiens qui ont libéré ces villes au printemps de 1945 n’ont jamais oublié les centaines d’enfants tendant les mains et demandant de la nourriture. Dan était là. Il a vu tout cela[2]. Certains soldats canadiens ont même remarqué qu’il n’y avait ni chiens ni chats dans ces villes. Les Hollandais les avaient tous mangés pendant l’hiver.
Le 1er mai 1945, les combats étaient presque terminés en Hollande. Les garnisons allemandes encore en poste, capitulèrent le 4 mai 1945. L’Allemagne capitula le 7 mai 1945. Le régiment de Dan, les Van Doos, furent envoyés de la Hollande en Allemagne comme forces d’occupation d’après-guerre. En Allemagne, les alliés ont découvert l’enfer en libérant les prisonniers des camps de concentration. Les Van Doos ont libéré de tels camps. Ils y trouvèrent des Juives. La plupart d’entre elles étaient chauves puisque leurs cheveux étaient tombés à cause de la malnutrition ; certaines d’entre elles n’avaient plus de dents. Les gardiens de prisons SS avaient déjà fui quand les chars d’assauts canadiens sont arrivés. Lorsque les Canadiens défoncèrent les portes des camps, ils ont été accueillis par un étrange silence. Lentement, des visages sont apparus aux fenêtres des casernes. Les prisonniers commencèrent à en sortir. Ils ne prononçaient pas un mot, ils ne pouvaient pas. Dan et ses camarades ne pouvaient pas parler non plus. Lentement, des mains squelettiques commencèrent à toucher les Canadiens. Ils étaient bel et bien là ! Les Alliés étaient enfin venus les sauver. La guerre était finie. Lorsque Dan Whiteduck rentra chez lui en décembre 1945, il descendit du train à Maniwaki et se rendit immédiatement à la maison de sa mère, installée le long de la rivière Gatineau. Les hommes pensent toujours à leurs mères lorsqu’ils combattent et c’est là que Dan est allé en premier. Puis il alla retrouver sa petite amie laissée derrière. Il épousa sa bien-aimée Aline et vécurent ensemble les cinquante-cinq années suivantes. Ils ont élevé sept filles et deux garçons`

Soldat Basil Alias Odjick, C52889. Régiment Royal du Canada. Tué au combat, le 28 août 1944.
5 septembre 1944:
Le ministre de la Défense nationale regrette profondément de vous informer que C52889 le soldat Basil Alias Odjick a été officiellement tué au combat le 28 août 1944 STOP. Si d’autres renseignements sont disponibles, ils seront transmis dès que possible STOP
Basil avait vingt-trois ans lorsqu’il a rejoint l’armée canadienne tout comme son frère aîné six mois plus tôt. Il a quitté son emploi de bûcheron à Maniwaki en février 1944, a dit au revoir à sa femme Marie qui était enceinte et à leurs deux enfants : Hector Joseph, 4 ans, et Kate Ilda, 3 ans, a pris le train en direction d’Ottawa puis Kingston, où il s’est enrôlé le 11 février 1944. Le lendemain, il a écrit son testament et a tout laissé à sa femme. Il s’est entrainé à Farnham, au Québec. Le 27 juin 1944, il a demandé son transfert à Kingston, en Ontario, afin de rejoindre son frère aîné Robert. Après les pertes subies durant la Grande Guerre, où des frères se battaient et mourraient dans une même unité – et leur descendance avec eux – cette demande a été, à juste titre, refusée. Basil était proche de son frère aîné parce qu’ils avaient fréquenté les mêmes pensionnats de 1927 à 1936. L’agent indien Gauthier les avait envoyés là après la séparation temporaire de leurs parents. Basil avait sept ans et Robert neuf lorsqu’ils furent envoyés au pensionnat de Spanish (Ontario). Robert, de deux ans l’aîné, est devenu le meilleur ami de Basil. Le 12 juillet 1944, Basil fit le voyage d’Halifax à Liverpool, en Angleterre où il arriva le 19 juillet. Robert avait débarqué en Angleterre seize jours plus tôt, mais les deux frères n’étaient plus destinés à se rencontrer puisque Basil reçut l’ordre de partir pour la France le 12 août 1944. Trois jours plus tard, il était affecté au Régiment royal du Canada qui combattait à l’extérieur de la ville française de Falaise afin d’empêcher le retrait de l’armée allemande de la Normandie. Durant la nuit, ils ont regardé les bombardiers alliés larguer des centaines de tonnes de bombes incendiaires sur les Allemands piégés. Le 26 août 1944, Paris fut libérée. L’armée allemande en Normandie se retira sur la Seine pour une dernière fois.
Le Régiment royal du Canada eut l’insigne honneur de participer à la dernière bataille de la Campagne de Normandie. Le 28 août 1944, le Régiment royal du Canada reçu l’ordre de refouler les Allemands dans un village français appelé Saint-Ouen-de-Tilleul, juste à la périphérie de Paris. Saint-Ouen-de-Tilleul était défendu par un détachement de troupes SS armées de lance-roquettes et d’armes antichars. Les membres du Régiment royal du Canada délogèrent les SS de Saint-Ouen-de-Tilleul cet après-midi-là. Treize soldats canadiens furent tués dans les combats de rue. Basil Odjick fut l’un d’entre eux. Un obus ou une fusée allemande explosa contre un bâtiment, envoyant maçonnerie et briques dans toutes les directions. Une brique a frappé le casque en acier de Basil Odjick, Il est mort instantanément. En 1949, les villageois de Saint-Ouen-de-Tilleul ont érigé un monument aux treize soldats canadiens tués en libérant leur village cinq ans plus tôt. Le nom de Basil Odjick est inscrit sur ce monument. Le soldat Basil Alias Odjick, C52889, est enterré au cimetière militaire canadien de Bretteville-sur-Laize, en Normandie, France.

Soldat Robert Simon Odjick, C122146. Régiment royal du Canada. Mort de ses blessures, 17 avril 1945. Robert travaillait à Port Colborne, en Ontario, lorsqu’il s’est porté volontaire pour le service militaire outre-mer. Il a pris le train en direction de Kingston, en Ontario, où il s’est enrôlé le 31 août 1943. Il a rédigé son testament deux jours plus tard, laissant toutes ses possessions à sa femme Jeanne de Maniwaki. Ils avaient trois enfants, Betsy, 4 ans, Simon, 2 ans et Freeda, trois semaines. Robert fit son entrainement à Kingston, en Ontario, où il s’est qualifié comme opérateur radio. Il maîtrisait trois langues: l’algonquin, le français et l’anglais. Mais Robert ne voulait pas être opérateur radio. Il voulait être mitrailleur et il a demandé à son commandant de pouvoir combattre dans l’artillerie. Robert passa sa formation de mitrailleur avec succès. Son officier supérieur a noté que Robert était toujours de bonne humeur, intelligent et toujours bien mis, comme en témoigne son portrait. Robert est partit d’Halifax le 25 juin 1944 et débarqua à Liverpool le 3 juillet 1944. Il fut envoyé à l’entraînement et il y demeura jusqu’au 10 novembre 1944, où il reçut l’ordre de partir en France. Le 14 novembre, Robert rejoignit le Régiment royal du Canada combattant à Nimègue, en Hollande.
Le Régiment royal du Canada était un des régiments d’infanterie de la Seconde division canadienne chargée de libérer la ville hollandaise médiévale de Groningen. L’assaut fut fixé pour le 14 avril 1945. Les Royaux avançaient vers leurs positions dans un petit village appelé Peelo à la périphérie de Groningen[3]. C’était le 13 avril 1945. La plupart des hommes marchaient, sauf les opérateurs de mitraillettes. Puisqu’ils portaient de lourdes mitraillettes Vickers et des boîtes de munitions, ils étaient installés sur des chars d’assauts Sherman. Robert était l’un des mitrailleurs assis au sommet d’un char d’assaut. Les Royaux arrivèrent à Peelo dans la soirée. Une patrouille allemande se retrouva soudainement face à une patrouille canadienne. Les deux côtés ouvrirent feu. Les Royaux entrèrent dans la bataille. Une rafale de mitraillette frappa Robert à l’estomac et à l’aine. Il fut évacué dans un hôpital de campagne canadien, où il est décédé quatre jours plus tard à 16 h 20, le 17 avril 1945. Il avait vingt-sept ans. Ses effets personnels : une montre-bracelet, un bracelet, un stylo-plume, des pièces souvenir de monnaie, une bourse à monnaie, son certificat de mariage à Jeanne et les trois certificats de baptême de ses enfants ont été envoyés à la maison. Son commandant a déclaré que Robert était l’un des meilleurs soldats de sa compagnie, un homme consciencieux qui a bien fait son travail. Jeanne reçut le télégramme le 23 avril 1945. Il est écrit :
Regrets profonds C122146 Soldat Robert Simon Odjick est officiellement décédé de ses blessures, le 17 avril 1945 STOP Vous devriez recevoir des détails supplémentaires par la poste directement de son unité de guerre STOP[4]
Robert écrivit régulièrement à son épouse Jeanne et à sa mère Katineen Riel. Ses lettres étaient toujours gaies et réfléchies, il ne parlait jamais du froid et de la misère que lui et ses camarades enduraient à Nimègue pendant l’hiver 1944-45. Les Allemands défendaient alors la rive nord du Rhin et, parfois la nuit, ils utilisaient des radeaux de caoutchouc pour attaquer les positions des Royaux. Lorsque ceux-ci soupçonnaient les Allemands de se regrouper pour attaquer leurs positions, les mitrailleurs Vickers, dont Robert faisait partie, pointaient leurs armes et lançaient des milliers de salves, par-dessus la rivière, qui retombaient sur les positions allemandes. Mais Robert ne parlait jamais de cela à Jeanne. Au lieu, il demandait des nouvelles des enfants ou parlait de la température. En février de 1945, Jeanne cessa de recevoir des lettres de Robert alors que les Royaux combattaient dans la forêt de Reichswald à la frontière germano-hollandaise. Les Allemands menèrent une lutte acharnée. Les combats se sont échelonnés tout le mois de février et au début de mars. Les lettres de Robert à Jeanne reprirent et il s’excusa de ne pas avoir écrit depuis longtemps car ils avaient traversé une « période difficile ». C’est tout ce qu’il en dit. Il a ensuite parlé à Jeanne de sa permission à Bruxelles et a plaisanté en disant que la bière en Belgique “n’est pas aussi bonne que la nôtre au Canada”.
Le soldat Robert Simon Odjick, C122146, est enterré au cimetière militaire canadien de Holten, aux Pays-Bas. Note de l’auteur : Ce récit est aussi précis que possible selon l’équipe de rédaction et de chercheurs. Il est basé sur l’histoire du Régiment royal du Canada et du commandant de Robert qui décrit l’embuscade à Peelo en 1945. Après près de soixante ans, la piste est plus difficile à suivre pour les vétérans du Régiment royal du Canada qui étaient à Peelo en 1945. Le Régiment royal du Canada a organisé un dîner-rencontre à Toronto, le 8 novembre 2003 et, à la demande de l’auteur, la mort de Robert Simon Odjick à Peelo fut soulevée parmi les derniers survivants de la Seconde Guerre mondiale. Le lieutenant Peter Boyle du Régiment royal du Canada a expliqué le décès de Robert Odjick aux survivants. Personne ne se souvenait de lui. C’est compréhensible. Les Royaux ont connu un taux élevé des blessés en Normandie et en Hollande. Les décès et les blessés étaient trop nombreux pour être tous remplacés. Bien de fois, ces hommes n’ont jamais eu la chance de se connaître, même brièvement.
Conclusion
La Seconde Guerre mondiale, dont le but était de renverser le régime nazi, fut la seule guerre de l’histoire justifiable, parce qu’elle était une guerre contre l’intolérance raciale. Les hommes et les femmes algonquins qui se sont joint à la lutte pour débarrasser le monde de la tyrannie étaient considérés comme des citoyens de seconde classe dans leur propre pays ; mais la Seconde Guerre mondiale a sonné le réveil politique des Premières Nations du Canada. Après les contributions et les sacrifices faits, dans les deux guerres mondiales pour le Canada, par les soldats des Premières nations ainsi que leurs mères, le temps était enfin venu de parler. Des soldats des Premières nations se sont battus pour libérer la Hollande et sauver les jeunes hollandais de la famine. Robert Simon Odjick est mort en Hollande. Robert Simon était le fils de William Odjick, l’homme qui a laissé une famille britannique vivre dans sa cabane de chasse après qu’ils aient été chassés de leur maison de Maniwaki. “Mme Sawn-sew! Mme Sawn-sew …”
[1] Virginia Deschenes et Brant Davy, éd., Kigitiziminanig Kimadinamagonanig (Kitigan Zibi: Conseil d’éducation de Kitigan Zibi, 2000), pp. 28-29.
[2] Entretien personnel avec Aline Whiteduck, épouse de Daniel Whiteduck. Dans une entrevue le 15 février 2004, à son domicile, Aline a parlé des souvenirs de la Hollande de Dan;
[3] Major D.J. Goodspeed, Battle Royal : A History of the Royal Regiment of Camada (Brampton: The Royal Regiment of Canada Association, 1962), p. 558-559.
[4] L’écrivain / l’équipe de recherche souhaitent exprimer ses sincères remerciements à Jeanne Odjick, la veuve de Robert Simon, qui nous a permis d’utiliser deux lettres de ce dernier pour aider à la rédaction de sa biographie. Henriette Morin-McGregor se souvient qu’en hiver 1941, Robert Simon est venu chez elle chercher un médicament traditionnel pour sa fille Betsy, qui souffrait d’une infection d’oreille. La mère d’Henriette, Delima Commanda-Morin, fit pour Robert Simon un cataplasme en se servant d’une queue de loutre. Robert a parcouru dix kilomètres au milieu de l’hiver pour obtenir ce médicament pour sa petite fille.
Source : Traduit de McGregor, Stephen, Since Time Immemorial : «Our Story». The Story of the Kitigan Zibi Anishinàbeg, Kitigan Zibi Education Council, Kitigan Zibi, 2004, p. 261 à 270. Avec la permission du Kitigan Zibi Education Council.